Portrait de la France d’en bas

La première fois, je l’ai suivi(e) du regard, je lui ai filé le train et l’ai immobilisé(e) dans ce mouvement gracieux de la marche. Quelques mois plus tard, une deuxième rencontre, puis une troisième et mon regard qui ne cesse de descendre sous la ceinture. Le jeu devient système et révèle, à mesure qu’il s’enrichit de nouveaux postérieurs, sa capacité à faire portrait. Chacune des photographies porte ses indices et amorce un dessin, des traits de caractère. Par la souplesse des gestes, on peut deviner les âges ou l’état de santé ; les attributs, sacs en plastiques, instruments de musiques…, racontent des activités; surtout, les peaux, vêtements et accessoires trahissent des positions sociales, la réussite comme la précarité. La difficulté du sujet à contrôler l’image de cette partie de son corps lui confère une étonnante vérité.

La prolifération de ces portraits, leur caractère sériel, nous amène à penser leur espace, leur contexte. Le camaïeu de gris-bleuté, avec lequel contrastent parfois violemment les vêtements colorés, révèle d’emblée la ville parisienne. Trottoirs, plaques d’égouts et pieds d’arbres cerclés de fer forment un décor répétitif, un lieu commun. La plongée de mon regard rend instable les espaces familiers, transmue les horizontales et les verticales en un réseau d’obliques contradictoires. Le point de fuite s’accélère et produit une tension avec la balance des corps. La sensation de mouvement laisse alors la place à la pesanteur : les sacs, les caddies lestent, les lacets, laisses et bandoulières deviennent autant d’attaches qui relient à l’espace urbain. De la série naissent de multiples tensions : entre envol et pesanteur, singularité et communauté, répétition et différence.